RAPPORT DU MARCHÉ DE LA VANILLE Nº 50 – FEVRIER 2017

Comme la campagne de la vanille de Madagascar 2016/17 tire à sa fin, l’état du marché mondial de la vanille a détérioré à des niveaux inimaginables il y a à peine quelques années.  Les prix ont atteint des sommets sans précédent qui éclipseront même ceux connus en 2003,  la taille des récoltes et la qualité générale des gousses de vanille sont dramatiquement à la baisse et en dessous de toute attente.  Presque toute la vanille, qui selon nos spéculations, était entreposée autour du monde (à un certain moment plus de 2500tm) a été vendue pour la plupart, par conséquent le marché a perdu sa plus importante réserve.  La plupart de ces réserves ont été liquidées avant que les prix dépassent 100.00 USD /kg. Uniquement les revendeurs de vanille  Indonésiens ont eu la volonté d’attendre jusqu’à récemment pour vendre leurs réserves, certaines datant de 8, 9  et même 10 ans. Ceci a probablement évité l’effondrement encore plus grave du marché.

Ce rapport tentera de trouver des explications pour la situation actuelle et en même temps de dissiper les théories du complot qui apparaissent souvent quand le marché sillonne à travers une crise tout comme celle connue de 2001 – 2004.  Comme il est encore trop tôt dans l’année, ce sera difficile de projeter la taille des récoltes pour 2017.  La floraison est très forte pour 2017 nous indiquant la possibilité d’une récolte abondante.  Par contre la plupart de la floraison était tardive ce qui signifie qu’il serait essentiel de minimiser la cueillette hâtive,  ce qui est pratiquement impossible dans les conditions actuelles du marché.

Comme nous avons constaté en 2016, ces projections deviennent complètement futiles quand l’utilisation de méthodes de mûrissement et séchage accélérés (quick curing) et la cueillette hâtive des gousses de vanille vertes, deviennent généralisées, comme c’était le cas au Madagascar. Comme la production de vanille de Madagascar mène le marché mondial, nous commencerons notre analyse ici.

 

Le chemin menant à la vanille à 500.00 USD/kg.

Au début de 2016 les prix de la vanille de Madagascar se situaient en moyenne entre 200 – 250 USD /kg et on s’attendait d’avoir une récolte significativement plus grande en 2016 qu’en 2015. Il a fallu que les acheteurs acceptent des prix qui représentaient une augmentation significative comparativement  à  ceux de la récolte de 2015. Étant donné les récents changements de politiques de plusieurs manufacturiers alimentaires mondiaux, il y a une grande  demande pour des gousses de vanille naturelles dans les formulations aromatisées. Malgré l’augmentation anticipée de la production de

vanille au Madagascar, certaines entreprises d’arôme craignaient qu’il y ait une pénurie particulièrement à cause du fait que la production  provenant d’autres origines telles que l’Indonésie, l’Uganda et l’Inde, ne gardaient pas le rythme.  D’autres estimaient que si le Madagascar était capable de rencontrer les projections originales de 1800 – 2200tm de gousses de vanille pour la récolte de 2016, la demande mondiale serait comblée et les prix demeureraient relativement stables.

Au début de la récolte de vanille de 2016 (avril – juillet) les prix des gousses de vanille vertes suivaient de près les prix de la vanille séchée et mûrie à la fin de la campagne précédente, autour du niveau de 30.00 USD /kg.  Dans  les deux saisons précédentes, nous avions déjà vu l’impact grandissant du « quick curing » et l’extraction hâtive de gousses de vanille vertes  sur la campagne verte, c’est-à-dire l’augmentation de pression  sur le prix de la vanille verte au fur et à mesure que la récolte progressait.  Il y a plusieurs années, une importante entreprise d’arôme Allemande avait déjà mis en place une usine pour extraire les gousses de vanille vertes un peu au sud de Sambava.

Détectant un désavantage au niveau de la compétition, d’autres entreprises d’arômes, telles que trois des plus grands joueurs mondiaux, ont encouragé leurs fournisseurs au Madagascar  de mettre en place des installations de « quick curing » afin d’accélérer la récolte et le processus de mûrissement de la vanille. « Quick curing » n’est rien de nouveau dans l’industrie de la vanille, mais devient une pratique  résolument plus sophistiquée.

Aujourd’hui il y a plusieurs exportateurs de vanille au Madagascar qui ont la capacité de sécher et mûrir la vanille plus rapidement, mais pas tous possèdent les compétences ou les connaissances pour le faire efficacement donc les résultats sont variables.

Le résultat direct de l’utilisation à grande échelle du « quick curing » combiné avec l’extraction de gousses vertes tel que mentionné précédemment a causé une pression tarifaire des plus intense et acharnée pour la vanille verte dès le début de la récolte de 2016. Par le temps que la campagne verte se termine, le prix de la vanille verte avait dépassé 80.00 USD /kg. De plus un grand pourcentage de la vanille verte a été récolté trop hâtivement résultant en une récolte immature.  Cela eu un impact dévastateur sur les ratios de mûrissement qui dans les meilleurs conditions  seraient de 5 – 5.5 kg de vanille verte pour  1 kg de vanille mûrie et séchée.  Aujourd’hui la plupart des professionnels de la vanille sur le terrain au Madagascar seraient en accord  que les ratios de mûrissement pour 2016 seraient plus aux alentours de 7.5 – 8kg de vanille verte pour 1 kg de vanille mûrie et séchée.  De ce fait nous pouvons facilement constater qu’une récolte anticipée de 1800 – 2000tm a été réduite à une récolte ne dépassant probablement pas 1200tm pour 2016.

 

L’effet du mûrissement et séchage accélérés (Quick Curing).

Nous croyons qu’approximativement  300 – 400tm des gousses de vanille ont été enlevées de la récolte à cause de l’extraction de la vanille verte et du « quick curing »  avant même que la campagne pour la production de vanille mûrie et séchée commence au début du 4ième trimestre de 2016. Ce qui a eu pour résultat que les récoltes de vanille étaient de beaucoup moindre qu’anticipé.  Les prix d’exportations ont débuté tout près de 400.00 USD /kg et ont continué avec une tendance à la hausse à des niveaux présents qui approchent du 500.00 USD /kg. Contrairement aux crises précédentes quand les récoltes étaient très petites et il y avait une véritable pénurie, cette fois-ci  c’est tout à propos du rendement des récoltes et c’est pourquoi selon notre opinion,  le « quick curing » a un impact dévastateur.

On peut comprendre pourquoi certaines entreprises d’arômes peuvent trouver attrayant la méthode de « quick curing » dans les conditions courantes du marché.  Les gousses vertes récoltées sont séchées et mûries rapidement et prêtes pour l’exportation en quelques semaines  au lieu de mois.  Les utilisateurs finaux reçoivent leurs matières premières plus rapidement et à un coût réduit que leurs compétiteurs,  leurs donnant un énorme avantage dans le marché.  L’exportateur de vanille est payé rapidement plutôt que d’avoir son capital à risque et lié durant des mois pendant que la vanille est séchée et mûrie selon les méthodes traditionnelles.  Sur papier cela peut sembler comme le progrès mais la réalité est que le « quick curing » présente une grave menace à l’industrie de la vanille telle qu’on la connait aujourd’hui.

Dans les conditions actuelles du marché, les entreprises d’arôme  qui font la demande pour la vanille mûrie rapidement avancent des dizaines de millions de dollars sur le terrain au Madagascar bien à l’avance de la récolte afin d’assurer qu’ils obtiennent les matériaux dont ils ont besoin.  Cela provoque une pression excessive durant la campagne verte et encourage les fermiers de cueillir leurs gousses hâtivement.

Au niveau des prix d’aujourd’hui, permettre aux gousses de vanille verte d’atteindre la maturité optimale est pratiquement impossible.   Des milliers de personnes sont forcés de littéralement vivre dans la plantation de vanille afin de minimiser les vols.  Aujourd’hui, le vol de la vanille verte est hors de contrôle dans la Sava.  Les gouvernements locaux n’ont pas de ressources pour aider les agriculteurs de vanille à prendre des mesures de protection.  Des prix de vanille exceptionnellement élevés encouragent la corruption et, même lorsque les auteurs sont capturés, il y existe rarement des sanctions pour décourager les autres.  C’est vraiment une conséquence tragique des prix de la vanille extrêmes.

Seuls les plus grands exportateurs au Madagascar peuvent se permettre les coûts associés pour l’Installation et le fonctionnement d’une opération de « quick curing » ainsi consolidant la vaste majorité des exportations à une minorité d’exportateurs.   Cela rend la tâche très difficile pour les plus petits exportateurs de se placer dans le marché dans l’avenir.

La vanille mûrie rapidement a pour résultat d’obtenir un grade universel de vanille avec des variables énormes de la qualité tout dépendant qui fait le « quick curing » et les niveaux de maturité de la gousse. Quand le processus est fait correctement le contenu de vanilline peut être attrayant  mais le profil est très différent que la vanille mûrie par des méthodes traditionnelles.  Si le marché continue de progresser vers un produit séché et mûri rapidement, il sera de plus en plus difficile de trouver la vanille traditionnelle gourmet (noire), vanille fendue rouge, vanille de type européen  ou des cuts classiques.  En effet, le « quick curing » causerait la marchandisation de la vanille en un seul grade de qualité.  Un processus semblable serait inconcevable dans le cas du vin ou du whisky mais ces industries existent dans des pays développés.

En résumé, le « quick curing » dégrade la qualité de la vanille, consolide le marché au profit de quelques-uns, exerce une pression excessive sur la campagne verte, a un aspect social négatif (à suivre) et sert uniquement comme un instrument pour contrôler le processus d’un point de vue externe au détriment des communautés locales partout dans la région de la Sava au Madagascar.

 

L’aspect de la viabilité

Le « quick curing » et l’extraction de la vanille verte est un peu  comme le « vilain petit secret » de l’industrie.  Vous ne verrez aucune mention de ces processus sur les sites web des entreprises qui supportent cette pratique. La certification de la vanille par «Fair Trade» (Le commerce équitable) et “Rain Forest Alliance” (Alliance des forêts vierges)   est certainement une cause louable et dans de nombreux cas certaines entreprises vont en faire mention pour démontrer  leurs pratiques éthiques qui assurent la viabilité du marché.  Cependant, en réalité, la totalité représente une minime fraction de la vanille produite par le Madagascar et n’a aucun impact sur l’évolution du marché de la campagne verte. D’autre part le « quick curing » et l’extraction de la vanille verte compte probablement pour entre 25 – 30% de la récolte globale et à moins que certaines mesures soient prises afin de contenir ces pratiques, la demande continuera d’augmenter dans le contexte des conditions du marché actuel. Encore plus important, il y a un impact social dévastateur sur les centaines de villages partout au nord-est de Madagascar.

La méthode traditionnelle de mûrissement de la vanille qui est utilisée depuis de nombreuses générations crée des dizaines de milliers d’emplois pour les membres de ces communautés.  Le triage, séchage, la manipulation et la classification de la vanille, un processus qui peut prendre jusqu’à 6 mois pour obtenir la meilleure qualité de vanille, devient une pensée après coup avec le « quick curing » et l’extraction de la vanille verte.

Comme nous le savons tous, le Madagascar est un des pays les plus pauvres de la planète et un emploi, spécialement dans une industrie aussi noble que le commerce de la vanille, a un impact massif sur la qualité de vie pour les personnes vivant dans les communautés de vanille. Plusieurs des grands acteurs industriels ont déversé des millions de dollars dans la pratique du « quick curing » et l’extraction de la vanille verte tout en supportant en même temps des initiatives telles que   SVI ou «Sustainable Vanilla Initiative » (L’initiative de viabilité de la vanille).  Il est très difficile d’adresser efficacement les problèmes futurs dans des situations avec des doubles agendas.

 

Approvisionnement alternatif

La vanille Indonésienne a fourni un important coussin pour le marché de la vanille en 2016 contribuant probablement plus de 500tm au commerce mondial (plus de 425tm aux États-Unis seulement). Malheureusement, la vaste majorité de ces inventaires provenait d’anciennes récoltes, certaines remontant depuis presque 10 ans. Nous sommes d’avis que la plupart de ces réserves ont été vendues et nous doutons fortement que la production réelle en Indonésie compensera la différence.  L’Uganda éprouve des difficultés avec la qualité  et la production est encore projeté inférieure à 100tm.  Malgré les attentes élevées prévues en Inde les dernières années, la production de la vanille anticipée ne s’est tout simplement pas matérialisée.  Nous voyons les exportateurs de l’Inde offrant de la vanille en provenance plus souvent d’autres origines que l’Inde.  Ceci pourrait changer en 2017 mais il est encore trop tôt pour le déterminer.

Uniquement la  Papouasie Nouvelle Guinée est apparue comme une alternative viable au Madagascar mais cela s’applique principalement aux secteurs des services de l’alimentation et de vente au détail étant donné que les extracteurs sont très lents à accueillir cette qualité pour les formulations de la vanille.  On prévoit une production assez importante en 2017.

En résumé, bien qu’encore au début de l’année,  on ne s’attend pas à beaucoup d’aide de la part des régions productrices alternatives de vanille en 2017.  Dans les conditions actuelles du marché, ces origines font face à d’importants défis en ce qui concerne la qualité de la vanille. Tous dans l’industrie sont conscients qu’au fur et à mesure que les prix de la vanille montent en flèche, la qualité à son tour dégringole.

Le jeu de blâmer les autres

Au fur et à mesure que le marché continue de se détériorer et que les prix montent pour atteindre des niveaux insoutenables, nous voyons apparaître les théories du complot habituel en vue d’explications.  Plusieurs mettent le blâme carrément sur le peuple Malgache, que ce soit les agriculteurs, ceux qui font la cueillette, les exportateurs et même les représentants du gouvernement.  La spéculation sur les prix et de retenir ou de garder des réserves de vanille, ce ne sont là que quelques un des griefs. Ce contrôle de qualité est complètement injuste et irrespectueux à notre avis.

Les agriculteurs de vanille, ceux qui font la cueillette et les exportateurs, ont parfaitement le droit de retenir leurs inventaires afin de maximiser leurs profits. Bien que nous ne sommes pas en accord avec cette stratégie, ce serait tout simplement faux de lui attribuer le blâme pour la condition du marché actuel. Le marché a enduré des prix extrêmement bas pendant des années donc quand l’opportunité s’est présentée certains ont choisi d’en profiter.  En fait n’eut été la spéculation faite de 2008 à 2012 par des compagnies basées aux États-Unis et en Europe et même avant par les exportateurs de vanille en Indonésie, on pourrait attester que la condition du marché de la vanille actuel aurait pu être bien pire. Il est possible que l’événement déclencheur pour la dernière crise de 2000 – 2004 fût le cyclone Hudah mais cette fois nous sommes convaincus que c’est l’avènement de l’extraction et le « quick curing » de la vanille verte.

 

Stratégie?

Il est très difficile de prédire la fin de la crise actuelle  de la vanille. Quel est le niveau de prix qui érodera la demande au point de ne plus dépasser l’approvisionnement? Comment le « quick curing » et l’extraction de la vanille verte désavantagera les rendements et les chiffres de production de la vanille au Madagascar en 2017 ?  Les origines alternatives de vanille seront-elles capables d’augmenter leur production en 2017? Combien d’utilisateurs finaux tenteront de financer leurs achats de vanille à l’avance afin de garantir leur approvisionnement ?  Combien d’utilisateurs finaux d’extraits choisiront  des alternatives  aux arômes naturelles de vanille en provenance de gousses de vanille? Les réponses à ces questions sont essentielles  afin de concevoir une stratégie pour 2017.  Malheureusement il est très difficile d’évaluer la situation au tout début de l’année. Tenter de deviner quand les prix chuteront est une proposition dangereuse pour des entreprises comme la nôtre, qui sont en totalité ou en majeure partie dépendantes de l’approvisionnement de gousses de vanille naturelles.  Les prédictions de certains, d’un déclin imminent au début de 2017 ne se sont pas réalisées laissant certaines entreprises dans une situation précaire en termes d’approvisionnement de vanille.  Les entreprises et les acheteurs individuels doivent évaluer le rapport rendement-risque qu’ils sont prêts à accepter.

Certaines grandes entreprises  verront les conditions actuelles comme une opportunité d’élargir leur part du marché au détriment d’entités plus petites qui refuseront simplement de s’exposer. Comme c’est très probable, au moment de l’effondrement du marché, ceux qui auront le moins possible d’inventaire de vanille non vendu et non engagé s’en tireront le mieux.

 

Aust & Hachmann (Canada) Ltd/Ltée.